Le message de Victor Topanou sur l’Etat béninois

L’Etat est notre bien à tous.

Béninoises, Béninois, mes chers compatriotes,

A travers ce bulletin, je voudrais faire passer un message simple, à savoir que l’intégralité des ressources de l’Etat sont constituées, d’une part, de nos impôts, qu’ils soient directs ou indirects et, d’autre part, des prêts et dons qui lui sont octroyés en notre nom. L’Etat, c’est nous. Il en découle que nul n’a le droit de se les approprier, ni d’en revendiquer un usage ou une jouissance à titre personnel. De même, lorsqu’il advient que l’Etat soit condamné en justice à payer à un tiers un seul de nos francs et a fortiori plusieurs centaines de milliards de nos francs, c’est encore avec notre argent à nous tous que l’Etat paie. C’est donc nous tous, collectivement et solidairement qui sommes condamnés à payer. L’état, c’est la nation incarnée ou tout simplement le peuple incarné ou encore pour reprendre Georges Burdeau, l’Etat, c’est l’institutionnalisation de la nation.

L’Etat, ne peut donc être considéré comme le bien d’un clan, encore moins d’un individu. L’Etat n’est surtout pas un gâteau à parts multiples et infinies réservées à ses serviteurs. C’est pourquoi, j’aborderai dans ce billet, d’une part, les principales approches définitionnelles de l’Etat pour bien rappeler aux uns et aux autres ses fondements (i) et, d’autre part, la perception, voire la conception péjorative de l’Etat que les élites politiques ont largement contribué, par leurs comportements, à ancrer dans l’esprit de nos compatriotes (ii).

(i) En ce qui concerne les approches définitionnelles de l’Etat, et sans prétendre à l’exhaustivité, il en existe au moins quatre à savoir l’approche chrétienne, l’approche contractualiste, l’approche juridique et l’approche sociologique. L’approche chrétienne a été incarnée par les philosophes chrétiens, notamment Saint Thomas d’Aquin et Saint Augustin, pour qui, l’Etat a été voulu par Dieu pour assouvir ses desseins sur l’homme ; l’Etat serait donc une émanation divine. Dans cette approche, le pouvoir est nécessairement de droit divin, ce qui confère aux gouvernants une légitimité transcendantale. Mais la légitimité transcendantale du pouvoir a fini par faire des gouvernants des tyrans, des monarques absolus qui n’ont de compte à rendre à personne, en dehors de Dieu et qui ont un droit de vie et de mort sur leurs sujets. Par ailleurs, ce système de légitimité transcendantale réserve la fonction de gouvernants aux seuls enfants d’une même famille, la famille royale que le hasard de l’histoire, un jour, a propulsée au sommet de la hiérarchie sociale. C’est à la suite de cette approche qu’est née l’approche contractualiste selon laquelle, loin d’être une émanation de Dieu, l’Etat naît plutôt d’un contrat entre les membres d’une même communauté.

Thomas Hobbes, John Locke et Jean-Jacques Rousseau sont les pères fondateurs de cette approche. Pour Thomas Hobbes, c’est parce que les hommes ont éprouvé le besoin de sortir de « l’état de nature », cette « jungle où l’homme est un loup pour l’homme », symbole d’insécurité permanente qu’ils ont décidé de signer un « pacte de sujétion » qui est l’acte fondateur de l’Etat. Pour lui, au terme de ce pacte les gouvernés décident de confier la garantie de leur sécurité physique et morale aux gouvernants -qui incarnent l’Etat- en échange de l’aliénation d’une partie de leurs libertés. La garantie de la sécurité physique et morale, individuelle et collective est donc la raison d’être de l’Etat. C’est l’approche contractualiste qui influence encore de nos jours les Etats modernes dont les constitutions symbolisent le « pacte de sujétion ». Dans cette approche et contrairement à l’approche chrétienne, le pouvoir est nécessairement d’ordre humain, même s’il est sacré, ce qui confère aux gouvernants une légitimité immanente. Quiconque invoque une origine divine de son pouvoir dans un cadre contractualiste commet une fraude intellectuelle et affiche, sans le dire, une volonté de dérive autoritariste.

Quant à l’approche juridique, elle définit l’Etat par ses éléments constitutifs, à savoir un territoire sur lequel vit une population qui reconnait l’autorité d’un gouvernement tandis que selon l’approche sociologique et pour reprendre la définition wébérienne, l’Etat est « une entreprise politique, de caractère institutionnel dont la direction administrative revendique avec succès, dans l’application des règlements, le monopole de la contrainte physique légitime ».

(ii) En ce qui concerne la conception péjorative que nos compatriotes ont de l’Etat, elle consiste à considérer l’Etat comme un immense gâteau coupé en parts infinies. Ainsi, pour l’infime minorité de Béninois qui s’intéresse à l’Etat, la finalité de toute vie est de se battre pour accéder à une fonction afin de prendre sa part, étant entendu que pour l’immense majorité de nos compatriotes, l’Etat est un objet politique non identifié (un OPNI), une entité qui leur est extérieure pour ne pas dire étrangère. En effet, depuis les indépendances, les élites politiques, toutes tendances confondues et à quelques trop rares exceptions près, ont contribué à ancrer cette conception dans l’esprit de nos compatriotes, d’une part, par leur capacité toujours renouvelée et leur génie légendaire à détourner, à leur seul profit, les deniers publics et, d’autre part, par leur aptitude à ériger l’impunité en politique publique de gouvernance. Ce faisant, les élites politiques béninoises ont ni plus ni moins privatisé l’Etat. Tous les Béninois ont encore en mémoire le pathétique « j’ai pris ma part ! » d’un ancien Ministre de l’Economie et des Finances qui corroborait ainsi l’idée selon laquelle l’Etat serait un gâteau à partager. Aussi longtemps qu’il en sera ainsi, la méfiance, voire la défiance de nos compatriotes vis-à-vis de l’Etat se poursuivra et nous ne pourrons rien faire ensemble de beau, ni de bien, encore moins, de grand et de durable.

Ma conviction est que notre Etat peut et doit reconquérir toutes ses lettres de noblesse. Pour y parvenir, il faut simultanément un double mouvement, le premier des serviteurs de l’Etat, les élites politiques qui doivent reconquérir toute leur crédibilité en se mettant au-dessus de tout soupçon et le second de nos compatriotes qui doivent cesser d’attendre des élites politiques, qu’elles se substituent à l’Etat en construisant des écoles, des routes ou des ponts, toutes choses qui relèvent de la responsabilité exclusive de l’Etat. Ou bien, on attend des élites politiques, une saine gestion des finances publiques avec à la clé une reddition de compte et on ne leur demande pas, à titre privé, des choses extravagantes, ou bien on fait définitivement le pari qu’elles vont toujours détourner les ressources publiques sans jamais être inquiétées et à ce moment-là, on peut continuer à leur demander le ciel ; mais que l’on cesse de jouer aux hypocrites en demandant une lutte contre la corruption et l’impunité. En un mot, il nous faut reconquérir la bonne culture de l’Etat !!!

C’est l’un des défis de l’élection de 2016 !

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