Les légitimes craintes des communes du Bénin

Serge-JIMAJA-Expert-en-fiscalite

Le paysage fiscal local au Bénin sera profondément touché à partir de 2016. En effet, la loi de finances gestion 2015 a introduit un nouveau régime de taxation des micros et petites entreprises, qui sera mis en vigueur à partir de janvier 2016. Il s’agit de la Taxe Professionnelle Synthétique (TPS) dont l’objectif principal serait de corriger le système d’imposition des micros et petites entreprises qui a cours jusqu’au 31 décembre 2015 et fondé sur la valeur locative dans les zones dotées de RFU et sur le bénéfice forfaitaire dans les autres zones. Ce qui ne permet pas à l’administration fiscale d’appréhender la réalité de la capacité contributive de cette catégorie de contribuables en vue d’une imposition fondée sur le chiffre d’affaires respectant l’équité et la justice fiscale.

Déjà, en 2008, par décret N° 2008-359 du 13 juin 2008, un Groupe de Réflexion sur la Fiscalité de Développement (GRFD) a été mis en place en vue de concevoir un système fiscal moderne et simplifié, établissant le juste équilibre pour la promotion de l’esprit d’entreprise, de l’innovation et de la prise de risque, tout en procurant à l’Etat et aux collectivités locales, les ressources nécessaires à la couverture des dépenses publiques de qualité. Dans son rapport, le GRFD disposait par ailleurs qu’« il y a lieu d’examiner également la possibilité de définir une autre base de calcul des impôts synthétiques en dehors de la valeur locative… ».

La réforme fiscale est donc d’actualité mais doit concilier des intérêts parfois divergents de tous les protagonistes. Il s’agit des intérêts de l’Etat, des collectivités locales et des contribuables. Une décision fiscale doit suivre un labyrinthe obligé. En effet, une fois suggérée, une réforme fiscale doit faire l’objet d’une concertation, puis donner lieu à une simulation afin d’éviter toute contestation au moment de son application. Or, depuis plusieurs années, les réformes fiscales au Bénin s’inscrivent dans une tendance, amorcée, de grignotage de l’autonomie budgétaire des administrations locales. Les collectivités locales voient, en effet, leurs ressources propres progressivement érodées par des réformes successives qui, sous couvert de simplification du système de prélèvements obligatoires, restreignent peu à peu leur autonomie de financement et remettant en cause les principes de libre administration consacré par l’article 151 de la loi N°90-32 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin et de l’autonomie financière des articles 1 et 2 de la loi N°98-007 du 15 janvier 1999 portant régime financier des communes en république du Bénin.

Ainsi, après la réforme de 2009 qui a conduit à la suppression de l’outillage industriel dans le calcul de la patente et du foncier bâti, la suppression de la taxe de voirie et qui ont fait perdre aux collectivités locales 34,90% de leur recette fiscale selon une étude de l’Association Nationale des Communes du Bénin (ANCB), une autre réforme, celle de l’institution de la TPS est sujette à des inquiétudes presque avérées.

En effet, les différentes études qui ont été faites dans le cadre de l’institution de la TPS ont péché du fait de la non simulation sur les gains et pertes que pourrait engendrer ladite réforme. La Taxe Professionnelle Synthétique, selon les dispositions de la loi de finances gestion 2015 (article 1084-18), regroupe les impôts et taxes que sont :

  • L’impôt sur le revenu,
  • Le versement patronal sur les salaires ;
  • La contribution des patentes ;
  • La contribution des licences.

Elle frappe les entreprises dont le chiffre d’affaires annuel est inférieur ou égal à cinquante millions (50 000 000) de FCFA quelle que soit la nature des activités. Il s’agit des micros et petites entreprises relevant du régime du forfait, dans les conditions de limite de chiffre d’affaires prévues à l’exception des entreprises dont le capital social à la constitution est supérieur à cinq cent millions (500 000 000) de FCFA. Les micros entreprises sont celles dont le chiffre d’affaires annuel est inférieur ou égal à vingt millions (20 000 000) de FCFA et les petites entreprises, celles réalisant par exercice comptable, un chiffre d’affaires supérieur à vingt millions (20 000 000) de FCFA et inférieur ou égale à cinquante millions (50 000 000) de FCFA.

Selon les dispositions de l’article 1084-46, le produit de la TPS est affecté à raison de 50% au budget de l’Etat et 50% au budget de la collectivité territoriale dans le ressort de laquelle l’activité est exercée, sous déduction de 10% représentant le coût administratif de l’impôt. Il faut signaler que la patente est aujourd’hui la recette la plus importante des communes et avoisine, en moyenne, ces trois dernières années, près de six milliards de FCFA pour les communes. Ce qui représente près de 44% des recettes fiscales des collectivités locales. La patente foraine à laquelle sont assujettis ceux qui vendent en étalage ou sur éventaire des objets de menues valeurs non compris dans les exemptions ainsi que tout individu qui transporte des marchandises de commune en commune, d’escale en escale, ou bien dans les territoires communaux et banlieues, de village en village, même lorsqu’il vend pour le compte de marchands, constitue l’une des recettes les plus en vue dans les communes rurales pour tenir le dernier trimestre de l’exercice.

Selon l’étude de l’ANCB sur les pertes fiscales suite à la réforme de 2009, environ 70,12% des communes du Bénin ne disposent pas de tissu industriel. De ce fait, c’est surtout les entreprises à faible chiffre d’affaires avoisinant les limites sus mentionnées qui contribuent aux ressources des communes à travers les impôts notamment la patente. L’impôt sur le revenu et le versement patronal sur les salaires restent négligeables dans les communes rurales ne disposant pas d’un tissu industriel. Il s’en dégage que fondre les ressources de la patente dans un tel prélèvement synthétique pour en disposer à part égale avec l’Etat central, serait simplement l’achèvement d’un processus commencé en 2009 et ayant pour objectif fondamental de rendre fiscalement dépendantes lesdites collectivités locales.

A la lecture des études qui ont conduit à cette réforme, on s’est interrogé, en ce qui concerne les mesures conservatoires relatives à l’autonomie fiscale des collectivités locales, sur la possibilité de limiter ce pouvoir par le biais des compensations fiscales que l’Etat accorderait aux collectivités pour alléger la charge des contribuables locaux. Mais ce faisant, l’autonomie fiscale des collectivités locales ne sera qu’une apparence incompatible avec le contexte de décentralisation.

La TPS, telle qu’elle est conçue, disposée dans la loi de finances gestion 2015 et qui sera mise en œuvre à partir de janvier 2016 n’est certainement pas celle souhaitée. Les études faites ne révèlent nullement les évaluations surtout ex ante qui sont devenues une nécessité pour mieux appréhender toute réforme projetée. Par exemple, pour la réforme de la Taxe Professionnelle en France, un simulateur a été même mis en ligne pour permettre aux contribuables de simuler directement les gains et les pertes suivant les dispositions de la nouvelle réforme. Pour les pertes simulées en ce qui concerne les collectivités locales, de nouvelles mesures fiscales ont complété le panier de recettes des collectivités en compensation des pertes de recettes fiscales induites par la réforme de la taxe professionnelle en France. Ainsi, par exemple, le transfert de taxes d’État vers les collectivités locales est l’une des mesures prises pour compenser les pertes qu’auraient subies les collectivités tout en garantissant leur autonomie en la matière et en maintenant stable la pression fiscale pour les contribuables.

Il importe donc de revoir la réforme TPS dans un ensemble de concertation avec les simulations nécessaires. Mais à l’étape actuelle, vu le processus en cours, il urge que les députés s’y penchent et revoir carrément l’article1084-64 portant sur la répartition du produit de la TPS entre l’Etat et les collectivités locales.

Serge JIMAJA, Expert en fiscalité

Author: Charles

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