Cafouillage dans l’interprétation des dispositions du règlement intérieur de l’Assemblée nationale Suite à l’ouverture de la quatrième session extraordinaire de l’année ouverte ce mardi 29 juillet 2014 au palais des gouverneurs à Porto-Novo, le parlement a abordé l’examen de la proposition de loi portant modification de l’article 18de la loi N°2001-35 du 25 février 2003 portant statut de la magistrature en République du Bénin. Mais le processus n’aura pas été à terme. Les travaux ont été suspendus pour faute de consensus au sein des députés.
Akodégbè Vignon
Après l’échec connu au cours d’une séance de travail en commission, la proposition de loi portant modification de l’article 18 de la loi N°2001-35 du 25 février 2003 portant statut de la magistrature en République du Bénin rentre déjà dans sa phase de souffrance active à l’Assemblée nationale. Au cours de la séance plénière de ce mardi, les députés ont eu de difficulté à examiner ce dossier qui fait couler d’encre et salive depuis peu. Du coup, la représentation nationale, après avoir écouté le contenu du rapport de la commission des lois, des droits de l’homme et de la législation sur cette proposition de loi, le président de l’institution parlementaire, le professeur Mathurin Coffi Nago a lancé le débat général afin de permettre aux députés de s’exprimer sur le dossier.
Affrontement d’idées et arguments entre députés
Ouvrant le débat général sur le rapport présenté par la commission des lois sur la proposition de loi en discussion, le président Nago a permis aux députés chaque tendance confondue de confronter les idées. Ainsi, plusieurs députés de la majorité présidentielle en l’occurrence les signataires qui n’ont pas encore retiré leur signature sont restés campés sur leur position de voir la proposition de loi être votée de manière à arracher aux magistrats le droit de grève. Il s’agit entre autres, des députés, Gaston Yolou, Sacca Lafia Thomas Ahinhinnou, ChabiSika, Djibril Mama Débourou, Rachidi Gbadamassi, et André BiaouOkounlola qui ont fait savoir que cette proposition de loi doit être votée fin que les tribunaux puissent fonctionner normalement. Mieux, ces députés ont fait savoir que le vote de cette loi mettra un frein aux grèves perlées dans la maison justice et permettra aux citoyens de jouir de leur droit et surtout donner aux prisonniers leur droit d’être jugés et de liberté. Pour eux, le vote de cette loi est de limiter les grèves dans la justice et favoriser un réel développement. Car, « la France et le Sénégal cités en exemple comme des pays dans lesquels les magistrats n’ont pas le droit de grève travaillent et produire la richesse pour le développement » ont-ils expliqué. Mais ce qui étonne le plus dans ce dossier est certains députés de la majorité présidentielle tels que les députés Candide Azanai, Epiphane Quénum, Nicaise Fagnon, Zéphirin Kindjanhoundé se sont inscrits dans la même logique que leurs collègues de l’opposition estimant que le vote de cette proposition de loi conduirait purement et simplement à violer la constitution. Mieux, ces députés s’ajoutant aux autres de la minorité parlementaire dont Edmond Zinsou, Lazare Sèhouéto, Eric Houndété, Saka Fikara , Emmanuel Golou et Antoine KolawoléIdji ont fustigé l’introduction d’une telle proposition de loi au parlement. Pour eux, c’est une manière de reteindre les libertés publiques. Pour eux, il faut que le gouvernement repense sa politique en optant pour un dialogue approfondi avec les magistrats au lieu de vouloir à tout prix, à leur arracher le droit de grève comme ce fut le cas avec les douaniers qui, pourtant ont le droit de se constituer en syndicat. Dans cette droiture, certains députés ont fait observer que le vote de cette proposition de loi ne règle pas complètement les problèmes qui se posent dans la maison justice au Bénin.
Les interventions de la Présidente Hélène KEKE qui a tout chamboulé
Après les interventions des uns et des autres mardi à l’hémicycle sur le rapport de la commission des lois, la présidente Hélène AholouKèkè a été invité à se prononcer au nom de la commission. Contre toute attente, la députée a formulé le vœu de retirer le rapport. Du coup, la présidente de la commission des lois, des droits de l’homme et de la législation s’est fondée sur les dispositions de l’article 75 alinéa 1du règlement intérieur de l’Assemblée nationale qui stipulent que tout rapport de la commission des lois peut être retiré même en cours d’examen par ses auteurs, pour déclarer que le rapport doit être retiré par la commission. Et pour cause, elle estime qu’il y a des amendements qu’il faut apporter à cette loi et qu’il y a d’autre part certaines incohérences à corriger. Raison pour laquelle elle a souhaité que le rapport soit retiré et que la commission se réunisse après pour mieux murir les réflexions sur le dossier. Mais cette proposition faite la présidente AholouKèkè bien que saluée et soutenue par certains députés qui s’indignent contre la loi, celle-ci n’a pas été du goût les autres députés de la commission des lois et des signataires. Au moment où les députés Epiphane Quénum, Nicaise Fagnon , Eric Houndété et consorts soutenaient la proposition de la présidente Kèkè, les honorables députés Sacca Lafia, ChabiSika, Djibril MmaDébourou et autres ont fit observer que la députés Hélène AholouKèkè n’est pas signataire du rapport comme le stipule l’article 75 alinéa 1du règlement intérieur évoqué. Pour ces derniers, les travaux doivent se poursuivre et le vote doit être engagé sur le dossier.
Les raisons du renvoi du dossier
Selon certaines indiscrétions, la présidente de la commission des lois, l’honorable Hélène AholouKèkè a été au cœur du blocage des travaux mardi dernier au parlement. A n croire ces mêmes sources, le député de la majorité présidentielle souhaiterait que l’expression « retirer le droit de grève » soit éliminée de l’amendement fait par des députés en commission. Toute chose qui selon elle, permettrait d’apporter d’autres innovations à la proposition de loi et ce, de manière à serrer d’une manière ou d’autre, les magistrats. Pour n’avoir pas été écoutée, la présidente a donc fait usage des dispositions du règlement intérieur de l’Assemblée nationale pour contourner et empêcher les travaux d’évoluer. Toute chose qui aura donc permis au président de l’Assemblée nationale de demander une suspension de trente minutes afin qu’un terrain d’entente puisse être trouve en commission. Mieux, dans une confrontation des idées suite aux débats tendus des députés, le président de l’Assemblée nationale, le président Mathurin Coffi Nago, après une certaine explication sur les idées exprimées par les uns et les autres, a su mettre en exergue une stratégie demandant une suspension e 30 minutes afin de permettre à la commission des lois de se réunir séance tenante pour s’entendre. Une demande qui a été acceptée par la représentation nationale. Mais le retour de la suspension n’aura rien porté comme fruit. Contrairement à ce qu’on pouvait constater, l’on a eu droit à des dilatoires au sein de l’hémicycle. Les signataires de la proposition de loi en discussion font leurs interprétations des articles du règlement intérieur de l’Assemblée nationale pour souhaiter l’évolution des travaux et sont automatiquement contrattaqués par leurs collègues de l’opposition et vis-vers-ça. Il faut dire que chaque camp a tout le temps tiré le drap de son côté jusqu’au petit matin de ce mercredi. Et c’est dans un imbroglio total qui s’est installé dans l’hémicycle que le président Nago a suspendu de nouveau la séance pour une date ultérieure.
LIRE ICI L’INTEGRALITE DE SA DECLARATION MARDI AU PARLEMENT SUR LA LOI
Proposition de loi portant modification de l’article 18 de la loi n° 2001-35 du 21 Février 2003 relative au statut de la magistrature.
Intervention du Député Valentin Aditi HOUDE
Monsieur le Président,
Chers Collègues !La proposition de loi en étude pose le problème de l’étendu des compétences législatives par rapport au statut des droits et libertés reconnus et consacrés par la constitution et les traités.
Il s’agit d’un texte qui interdit aux magistrats le droit d’être électeur qui est corollaire au droit d’être éligible, la liberté d’expression et d’opinion, la liberté d’association, la liberté syndicale, le droit de grève, en somme le droit d’être citoyen.
Monsieur le Président,
Universellement reconnu comme troisième pouvoir au sein de la société après l’Exécutif et le Législatif, la Justice ne peut être juste que si elle jouit de la plénitude de ses prorogatives au nombre desquelles la liberté comme un des constituants fondamentaux des attributs de l’Homme.
Longtemps au service de l’arbitraire dans les monarchies, la Justice est devenue indépendante vis-à-vis des deux premiers pouvoirs avec l’avènement des Etats républicains nés du combat des intellectuels humanistes et des luttes populaires. Et c’est une avancée, une victoire, un acquis qu’il serait hasardeux voire suicidaire, au Bénin comme ailleurs, de tenter de remettre d’une manière ou d’une autre en cause.
Les luttes pour le progrès humain ont pour pierre d’angle la recherche de la liberté, grâce au triomphe de la justice pour tous, qui ruine les pratiques arbitraires au sein de la société.Le combat des intellectuels, qu’ils soient organiques (acteurs politiques), humanistes (penseurs du social allant dans le sens de la promotion des attributs humains), ou purement théoriques, a imprimé à la marche du monde un rythme soutenu renforcé et conforté ici et là par des luttes populaires pour plus de justice et de liberté.
L’évocation de noms de quelques figures emblématiques mondiales de ce combat et de ces luttes permet de nous rafraîchir s’il en était encore besoin, la mémoire.
Ainsi, :
- Membre du Congrès puis élu deux fois de suite Président des Etats Unis, Abraham LINCOLN s’est battu farouchement non seulement pour la sauvegarde de l’Union, mais également pour l’abolition de l’esclavage dans la Fédération en faisant voter des lois anti-esclavagistes.
Cela s’appelle défendre et promouvoir les attributs humains de liberté et de dignité sans lesquels pas de progrès humain.
Son audace dans une Amérique de la seconde moitié du 19è siècle lui vaudra d’être assassiné en 1865. Mais l’humanité entière en est sortie grandie.
- Le Mahatma GANDHI, dans son Inde encore colonie britanique ;
- Le Pasteur noir Martin LUTHER KING aux Etats-Unis d’Amérique ;
- Le Héros du régime abject de l’apartheid, l’Immortel Nelson MANDELA, tous les trois, entre autres, ont mené à leur corps défendant et victorieusement le même combat : la mort de l’arbitraire qui tue les droits humains dont la privation fait de l’être humain une chose.
Et comme l’histoire le montre, malheur à celui par la faute de qui l’homme au singulier ou au collectif se voit privé de ses droits les plus élémentaires mais les plus chers, parce que inaliénables : l’intégrité du libre arbitre (la conscience!) et la liberté.
Plus que d’ordre juridique et social, la proposition de loi présentement en débat pose une problématique d’ordre sociétal en ce sens qu’elle vise à frapper et atteindre en plein cœur la société béninoise.A l’allure où vont les choses, il est à craindre, par la faute de la Représentation Nationale, faisant marche arrière par rapport au progrès humain que connait continuellement le monde et par rapport aux acquis réalisés par le peuple béninois, il est donc à craindre que la République se laisse tenter par les sirènes de l’arbitraire.
Une aventure douloureuse dans laquelle la République pourrait aller jusqu’à se donner le droit de vie ou de mort sur les citoyennes et les citoyens parce qu’elle aurait confondu citoyens et sujets.
La Justice, parce qu’elle est une potion difficile à avaler, interpelle chacun de nous, membres de l’Assemblée Nationale du Bénin, 6ème Législature. Elle lui demande, en son âme et conscience de se montrer juste en ne votant pas pour une loi assassine pour la Justice de son pays et au-delà de celle-ci, une loi assassine pour la démocratie et les libertés chèrement conquises par le peuple.
A la justice de notre pays, que nous voulons opérante, opérationnelle, efficace, efficiente, nous nous devons de rendre justice.
Grâce à une grande capacité d’écoute et de discernement, l’Assemblée Nationale a le devoir de voter des propositions de loi qui améliorent les conditions de travail et de vie des magistrats.
De la sorte, la Justice gagnera en diligence et en excellence.
Monsieur le Président,
Si la présente loi venait à être votée, déclarée conforme à la constitution et promulguée, elle n’aurait pas résolu les problèmes pour lesquels les magistrats vont en grève. Elle aurait seulement tenté de supprimer les symptômes d’une maladie et au lieu de guérir la maladie elle-même.
Cette loi court fortement le risque de ne pas être respectée par les magistrats qui ne cesseront pas d’aller en grève.Dans une pareille situation c’est toute une bonne partie du système institutionnel national à savoir Assemblée Nationale, Cour Constitutionnelle, et Présidence de la République qui serait fragilisée.
Au regard de tout ce qui précède, il importe que les Honorables Députés s’abstiennent de voter pour cette proposition de loi, qui au fond outrepasse les compétences législatives ordinaires de l’Assemblée Nationale et constitue une source de tensions inutiles entre les institutions constitutionnelles.
Je vous remercie.